Résumé des premiers mois de voyage

 

Découvrez les débuts de notre aventure jusqu’à notre escale au Cap Vert au travers de notre 1ère parution d’article publiée au printemps 07 dans le magazine de voile portugais “DaVela”.

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ARTICLE POUR LE MAGAZINE « DAVELA »

Santa Luzia, Cap Vert, 21 janvier 2007.

Cercamon, dont le jaune de la coque se reflète dans l’eau transparente, repose dans le mouillage de cette somptueuse baie du Cap Vert, sur l’île déserte de Santa Luzia, en ce petit matin d’hiver. Déjà un an et demi qu’il trace sa route, toujours un peu plus vers l’ouest, toujours un peu plus vers l’équateur. Combien de fois avions-nous rêvé à ce moment ? Avoir notre propre bateau et partir à la découverte du monde ?

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L’histoire commence en Suisse, où nous vivons depuis une bonne dizaine d’années (nous sommes mi-suisses, mi-français). Nous nous rencontrons à l’école d’infirmier, en 1996, en plein coeur de la campagne jurassienne. Mais Régis s’évade déjà sur le lac de Neuchâtel, sur le petit bateau de son père, qui peu à peu lui transmet sa passion. Puis le fils décide d’aller naviguer plus loin que sur les bassins suisses. Il entame les démarches pour passer tous ses permis de navigation, d’abord pour le lac, puis pour la mer.

A l’époque, je considère la voile comme une promenade de week-end, comme un moyen de parfaire mon bronzage. Mon opinion commence à changer à partir du moment où nous nous mettons à louer des bateaux en France, pour quelques semaines. D’abord avec skipper, puis tous les deux, livrés à nous-même et à notre peu d’expérience sur la mer. Nos premiers pas se font en Atlantique, en Méditerranée, toujours en côtier.

Petit à petit, je me prends au jeu, ou la mer me prend à son jeu. Partir en bateau, pourquoi pas ? L’envie de voyager existe déjà au fond de nous, il ne restait plus qu’à déterminer le « comment ». Je me rallie au projet de Régis qui le ronge depuis quelques années déjà, mais qui patientait que sa partenaire entre à 100 % dans l’aventure, sans simplement suivre son homme. La décision prise, il ne manque plus qu’à se lancer dans l’équipée. Qui commence par amasser de l’argent.

Economiser. Salaire après salaire. Nous passons de service en service. Urgences, chirurgie, médecine, psychiatrie, soins à domiciles, milieu de l’handicap. Notre travail nous plaît mais le rythme est soutenu. Nous cherchons nos bols d’air frais sur le lac Leman à bord d’un Dehler de 6m, ou dans les montagnes valaisannes qui surplombent majestueusement le bassin lémanique. Dans les littératures de bateau aussi, pour apprendre, rêver, savoir. Moitessier, et tous les autres, nous emmènent dans un autre monde. Je finis par également passer tous mes permis de navigation, désirant pouvoir être autonome s’il arrivait un problème au skipper.

Cercamon intervient dans notre vie alors que nous recherchons désespérément depuis bientôt deux ans, dans les salons d’occasions nautiques, sur les sites de vente par internet, de ports en chantiers, de brokers en vendeurs particuliers, parcourant inlassablement les côtes françaises, le bateau qui correspond à nos attentes. Au bout de plusieurs années de travail, nous avons enfin assez d’argent pour l’achat d’un voilier d’occasion en métal, pour le préparer au voyage, puis pour voyager quelques années.

Mars 2005, le contrat est signé. Cercamon, un sloop acier de plus de vingt ans, pavillon français, de 10,30m de longueur, dispose d’un intérieur agréable et pratique, de panneaux solaires et d’une éolienne pour l’énergie. Bateau en métal, choix que nous ne regretterons jamais, même en dépit de sa lenteur relative, tant au niveau du risque de talonnage (ça nous est arrivé), du risque d’abordage (ça aussi, ça nous est arrivé !), du risque de percuter un objet non identifié en mer (et ça aussi encore, ça nous est arrivé !).

Nous lui laissons son nom d’origine, « Cercamon », qui signifie « cherche le monde » (en
langue française moyenâgeuse) ; beau programme en perspective ! Le voilier est en excellente condition grâce à la remise en état conséquente effectuée par son dernier propriétaire. Il n’y a plus qu’à y déposer nos affaires.

Le bateau est à nous, le rêve est presque trop beau pour être vrai. Après l’avoir souhaité ardemment pendant six ans, la routine du travail nous aurait presque absorbés. Suit une période de flou, à intégrer que notre vie va désormais changer, à ne plus savoir où se trouve notre chez nous entre la Suisse qui nous semble déjà étrangère, et le bateau qu’on ne connaît pas encore.

Faire connaissance avec le voilier, l’apprivoiser, se l’approprier. S’habituer à vivre dans un espace réduit (ce qui ne nous change pas énormément des petits studios que nous louions en Suisse, par soucis d’économie). Ça et là, rajouter sa touche personnelle, découvrir ce qu’il a « dans le ventre » en navigant autour de Gruissan, son port d’attache, dans le sud ouest de la France ; peu à peu, l’aimer.

Cinq mois d’essai en été 2005. Les Baléares sont belles, la météo aussi, Cercamon nous
convient, nous nous sentons prêts à accomplir notre projet si longtemps espéré. Nous laissons le bateau en hivernage au sud d’Alicante, sur la côte méditerranéenne espagnole. Nous retournons en Suisse pendant l’hiver, le temps de regarnir la caisse de bord, et de nous préparer pour le grand départ (dispositions que nous avions déjà commencées à prendre quelques mois avant l’achat du bateau, pour ne pas être pris au dépourvu). Prévoir les cartes et guides nautiques. Les manuels de moteur diesel, d’électricité, de voile. La pharmacie de bord. La cambuse. Organiser l’assurance du bateau, celles pour les accidents, penser à la retraite. S’occuper de tout l’administratif pour quitter la Suisse. Etre sûr de ne rien oublier. Liquider appartement et voiture. Puis faire nos adieux à tous nos amis, la famille. Faire face à l’incompréhension ou le soucis des uns, les incrédules, la jalousie ou le bonheur des autres, et ceux qui aimeraient partir aussi.

Le parcours du combattant prend fin au printemps 2006. Début mars, nous sommes sur le bateau, notre résidence principale, sans plus rien derrière nous. Sentiment étrange. Pourquoi ce projet ? Pourquoi décider un jour de partir? De rompre une routine confortable ? Quitter nos chers ? Avec la seule (et précieuse) technologie d’internet interposée entre nous ? L’envie de découvrir le monde, l’amour de la nature, le goût pour une vie au soleil, celui de l’aventure… un peu de tout cela certainement. Mais surtout, c’est le contact avec les personnes âgées à l’hôpital, qui peu à peu a fait germer cette idée en nous. Les anciens, que nous avons aidés, soignés, écoutés, qui se sont confiés à nous. Ceux qui arrivent à la retraite avec une maladie incurable, réduisant tous leurs projets à néant. Les regrets des personnes en fin de vie. Une fois, deux fois, dix fois… Nous avons écouté. Et démarré le projet. Même si ça n’est pas « raisonnable ». Mais sans fuir la société pour autant, ni nos éventuels problèmes. Ils reviendraient au galop.

Le plus dur de tout, c’est de partir. Faire le premier pas qui nous détache d’une société confortable, où nous avons nos marques et une vie bien rangée. Le saut dans l’inconnu, oser se désécuriser. Une dernière fois, nous nous demandons si nous sommes toujours si sûrs de bien vouloir cette vie-là. Est-ce vraiment la bonne décision ? Mais une fois que ce pas-là est franchi, c’est comme si tout coulait de source. Cette nouvelle question supplée alors à la première : pourquoi ne sommes-nous pas partis plus tôt ?

Un mois de travail sur le chantier, qui complète les deux autres que nous avons déjà passés l’année précédente. Fin mars 2006, Cercamon est prêt, et après la mise à l’eau, nous voilà partis pour de bon.

La navigation en Méditerranée nous apprend l’humilité. Les coups de vent s’enchaînent, et parallèlement, les casses et les pannes aussi. Moments de découragement, couronné par notre remorquage (où nous nous retrouvons avec une grand voile déchirée et un moteur hors service). Nous prenons notre mal en patience. Notre progression se fait alors chaotique, lente, tout au long de la côte méditerranéenne espagnole. Un coup de Levante. Se réfugier dans un port, attendre. Une panne. Réparer. Un autre coup de vent… Malgré tout, les escales s’enchaînent. Mar Menor et son plan d’eau si agréable pour la navigation, Carbonera, Almerimar, Malaga, Marbella et sa vieille ville pleine de couleurs.

Au fur et à mesure de notre vie sur le bateau, chacun finit par y trouver sa place, ses tâches, ses marques. Apprentissage de la vie en couple 24h/24. Nous vivons nos premiers émois et premières frayeurs, accordons de plus en plus notre confiance au bateau qui fait ses preuves, nous exerçons à des tâches aussi diverses que la mécanique (l’infirmier qui se transforme en diéséliste), l’électricité, la peinture (surtout sur un bateau en acier où l’entretien est permanent), gestion de la cambuse et du budget (le salaire ne tombe plus tous les mois !), apprendre la débrouille, en bricolage comme dans la vie de tous les jours. Se familiariser avec le suivi de la météo, sur BLU et sur internet. Interpréter les intempéries et phénomènes locaux.

La vie en mer exige quelques sacrifices aussi (même si elle nous le rend bien par ailleurs), notamment en termes de confort (surtout sur un petit bateau), quelques attentions comme veiller à l’économie d’énergie et d’eau douce, subir les haltes forcées pour des problèmes techniques, l’avantage de voyager avec sa maison qui se transforme en inconvénient lorsque des problèmes d’insécurité se posent (d’ordre météorologique ou humain). Les corvées d’eau, de carburant, de gaz, d’approvisionnement, de lessives, à porter, à transbahuter de l’annexe au bateau, scandent cette vie sur l’eau.

L’arrivée à Gibraltar représente pour nous un symbole fort : à bâbord, c’est l’Afrique, dont nous distinguons le Maroc, à tribord s’étend l’Europe, nous laissons dans notre sillage la Méditerranée, et devant l’étrave s’ouvre à nous l’Océan Atlantique. Gibraltar, sa large baie où se côtoient une multitude de cargos, mastodontes d’acier entre lesquels nous nous faufilons, anse enveloppée d’industries, de fumée, de pollution. La foule grouillante dans Main Street, le sommet du Rocher et sa vue qui domine ville et océan, les singes voleurs et malicieux, le passé historique du pays, les navigateurs qui s’y sont croisés pendant des décennies. Cette ville anglaise du sud, bourrée de contrastes, nous séduit. Gibraltar, passage mouvementé dont les eaux s’agitent au passage des nombreux porte-conteneurs, des courants de marée, et de la météo qui peut y devenir redoutable.

Après Tarifa puis Barbate, changement de décor, avec l’été qui pointe son nez, dans les
rios qui parsèment cette façade Atlantique. En Méditerranée le long du littoral espagnol, peu d’autres alternatives que les amarrages dans les ports; nous retrouvons alors le plaisir du mouillage. Planter son ancre, savourer le calme du lieu. En Andalousie
occidentale, puis plus tard en Algarve, ce sont de longues plages qui s’étalent le long d’une côte plus sauvage, les paysages verdoyants des régions à marée, le franchissement des passes plus ou moins délicates des rivières, les ports de pêches fourmillant d’activité, quelques grandes villes aussi. Nous sillonnons la côte, où chaque rio présente un attrait particulier : Sancti Petri, Rio Guadalquivir, Huelva, Rio las Piedras. Mais là où le dépaysement s’exacerbe, c’est le Rio Guadiana. Souvenir qui nous est cher, entre le ballet aérien de toute une série d’espèces d’oiseaux le long des berges jalonnées de roseaux, et l’immersion en pleine campagne, avec Cercamon qui se retrouve à 40 km en amont du cours d’eau. Premier nez-à nez avec le Portugal à l’embouchure du rio, puis dans ce hameau d’Alcoutim où nous nous sentons si bien. Un pays entre les mains de gens simples, chaleureux, attachés aux valeurs traditionnelles. Et qui heureusement pour nous s’expriment fréquemment en français, langue dans laquelle souvent ils excellent.

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Immersion en Algarve dans les lagons autour de l’île de Culhatra, son chapelet d’îles, d’îlots, de langues de sable recouvertes d’eaux cristallines ; l‘abondant marché aux poissons d’Olhão, Portimão et sa côte aux falaise rosées, Alvor, un village tout en fleurs,
guirlandes, et musique, le jour de la fête consacrée à la Vierge des Marins. C’est la période où se déroule simultanément le drame de l’affaire du trimaran « Intermezzo », une histoire qui nous touche du fait que nous avions encore vu son propriétaire de son vivant, et qu’à Portimão nous trouvons régulièrement la police affairée vers le voilier encore retourné, qui vient d’y être remorqué après son naufrage.

Le temps passe, et nous nous attachons aux plaisirs simples, à la vie en contact étroit avec la nature, à la relation aux autres dépouillée de superficialité. Nos passions et goûts insoupçonnés, oubliés à terre où tout va trop vite, émergent instantanément dans cette nouvelle vie : lecture, photo, écriture, musique, bonheurs aquatiques et plongée en apnée, pêche (à la traîne, au moulinet, en chasse sous-marine), randonnées, exploration de nouveaux paysages, de nouvelles cultures. Le plaisir de la découverte de la terre par la mer. Prendre son temps pour profiter des escales, avec pour seule contrainte le respect des saisons de navigation. Le voyage comme occasion de pratiquer des langues étrangères apprises il y a longtemps, et d’apprendre des bribes d’un nouveau langage.

Savourer les spécialités culinaires locales, que nous cuisinons le plus souvent au bateau (nous préférons l’option de faire durer le voyage plutôt que de profiter du restaurant). Découvrir la faune locale, terrestre, aérienne ou sous-marine (mis à part les rats, cafards, charançons, blattes, avec lesquels nous avons déjà fait connaissance plus ons’approche des Tropiques, mais dont nous ne subissons pas -encore- l’invasion à bord !). Profiter des moments de solitude, de recul que l’on prend par rapport au monde, desflashes de souvenirs du passé qui nous reviennent promptement en mémoire. Apprécier les instants riches en contacts humains, partagés avec les locaux, ou avec cette grande famille des navigateurs.

Car de loin nous ne sommes pas seuls sur les mers et avec notre projet, même si nous ne représentons qu’un pourcentage minime dans la proportion de ceux qui partent de nos pays. Ces autres marins, si nombreux que nous croisons au fil des escales. Familles, couples, solitaires, jeunes, retraités, marginaux, ceux qui sont partis pour un an ou deux, ceux qui n’ont pas de date de retour, ceux qui ne possèdent aucune expérience de la navigation, ceux qui voyagent en flottille, toutes catégories sociales et professionnelles confondues. Avec tous types de projet et de route (les Tropiques, le grand sud, but humanitaire, défi sportif, etc.) Les « anciens », plus fréquents en Méditerranée, souvent allemands ou anglais, nous avaient épaulés dans nos premiers pas; dans la partie est de l’Atlantique, ce sont les jeunes qui les remplacent majoritairement, souvent des français. Il y a aussi les européens du Nord, des canadiens, quelques suisses, quelques espagnols.

Nous nous suivons un jour, une semaine, un mois, selon les affinités et nos routes. On se mêle aux autres, on se rencontre. Moments pleins de chaleur, d’humour, d’entraide, entre ceux qui nous ressemblent, et ceux qui nous diffèrent, mais dont l’on apprend tant. Les bons plans, l’expérience de voyage de certains qui se compte en dizaine d’année, leur ouverture d’esprit. Barbecue sur certaines plages, partage de nos joies et galères, en rire et musique. Redevenir infirmiers pour ceux qui partagent la même passion que nous, ou pour les habitants que nous croisons sur les routes des pays que nous visitons.

Fin août, nous nous retrouvons embarqués dans notre toute première traversée de plusieurs jours en mer, l’estomac noué, mais dans un état proche de l’excitation aussi. accueillent. Puis nous nous laissons prendre, surprendre par la beauté de l’océan, qu’il se montre calme ou non, paysage immuable et toujours changeant à la fois. Le voilier qui file sur l’étendue bleue, imprimant son sillage phosphorescent dans la nuit, le vent qui s’engouffre dans ses voiles. Perdre ses yeux dans la voûte céleste. Parmi les myriades d’étoiles. Suivre la lune du regard, qui luit tel un phare dans l’obscurité. Les aubes qui succèdent aux couchers de l’astre solaire, fardant ciel, nuages et mer de teintes orangées.

Se relayer pour les quarts. Surveiller le pilote, régulièrement scruter l’horizon (nous n’utilisons que rarement le radar, trop gourmant en énergie). Le jeu gracieux des dauphins à l’étrave. Jeter sa ligne et savourer sa première pêche. Gérer sa fatigue, s’habituer aux mouvements du bateau, à bouger avec lui pour réaliser toutes nos activités. Puis un jour, la magie de voir surgir subitement la terre de l’horizon. PortoSanto, atteint après 470 milles et 5 jours de mer. Premier challenge qui nous empli le coeur de bonheur.

Cette petite île de l’Atlantique nous conquit complètement, tant par sa beauté, sa magnifique petite plage qui s’étale en contrebas des sommets volcaniques, son calme, la continent. Lui succède Madère, cette île de vert, île aux fleurs, paradis de la randonnée aux creux ou sur les crêtes de ses montagnes, sentiers entourés de cet enchevêtrement de végétation luxuriante, dense, qui abonde, gorgée d’eau, cette eau omniprésente circulant dans les fameux levadas, ou qui se déverse en fabuleuses cascades.

Nous poursuivons notre route le long du trajet « standard » souvent emprunté par les plaisanciers, à quelques variantes près, pour les mener sur la bonne latitude pour traverser l’Atlantique. Les Canaries nous retiennent deux mois. Graciosa, petit paradis fait de sable et de rocaille, rehaussé de quelques monts volcaniques, réserve naturelle aux fonds sous-marins exceptionnels. Lanzarote, caillou de lave noire, et son majestueux parc volcanique de Timanfaya, aux colorations jaunes et ocres. Fuerteventura, Gran Canaria, puis Tenerife, d’où nous préparons notre prochaine « grande » traversée (et où nous remarquons à temps pour les réparer rapidement, le dessertissage de nos bas-haubans).

Au mouillage de Los Christianos, nous assistons à l’incessant trafic des gros ferries, à la régulière arrivée des barques remplies d’immigrés venant d’Afrique qui ne nous laissent pas indifférents, à la houle du large qui nous berce ou plutôt nous secoue. Il nous serait inconcevable de quitter l’archipel sans gravir le Teide, ce grand volcan endormi qui culmine à 3718m, le sommet du territoire espagnol. Le regard dégringole sur les concrétions de lave qui dévalent la pente, le paysage lunaire en contrebas formant un patchwork de couleurs typiquement volcaniques, la couronne de pins qui s’agglutine autour des sommets, puis plus bas la mer de nuage, et encore plus bas, l’océan.

Durant les six jours et demi de cette traversée qui nous amène vers les Tropiques (passage salué par les bancs de poissons volants qui parfois atterrissent sur le pont),nous nous refamiliarisons avec cette seule ligne d’horizon tout autour de nous, bleu azur du ciel sur bleu profond de l’océan. Une ligne agitée, creusée, vallonnée. La mer est forte, le vent siffle dans les haubans. Nous assistons pour la première fois à ce spectacle qui nous intimide, et qui nous force à rester enfermés dans le bateau. Deux déferlantes déjà se sont engouffrées à l’intérieur, inondant tout. Le vacarme des claques qu’assène la mer au bateau, venant résonner dans la coque, nous semble impressionnant,le bateau qui se couche également. Toujours se tenir et se retenir. Se débrouiller pour ivre comme on peut. Une traversée marquée par un empannage et un vis-de-mulet tordu, une voie d’eau qui se fraye un chemin par un point de rouille sur le pont, nous obligeant à régulièrement vider l’eau qui dégouline dans les fonds.

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Nous finissons par arriver après 760 milles, fourbus, mais pas dégoûtés pourtant, sur l’île de Sal. Au Cap Vert, début décembre 2006, commence une autre aventure : celle d’un pays loin de tout, emprunt de calme et de sérénité, qui après une phase de dépaysement, tant la culture du pays est éloignée de la nôtre, nous envoûte, nous charme, nous attire : c’est le coup de coeur. Archipel pauvre, car oublié depuis longtemps des pluies, mais riche de tant d’autres choses. Chaleur humaine. Beauté de coeur. Talents musicaux. Tant d’expériences qui nous font vibrer. Vies simples, dures, sans artifices, loin du confort et de la richesse occidentale, et pourtant heureuses. Les enfants jouent, les hommes chantent, les femmes rient, transportant allégrement leurs lourdes charges en un incroyable équilibre sur la tête. Nonchalance, pacifisme des gens (sauf, à ce qu’on dit, dans les grandes villes de Praia et Mindelo). Nous laissons nos médicaments récoltés en Suisse au centre de santé de l’île de Sal, dispensons ça et là stylos, T-shirt, casquettes, aux enfants qui repartent en courant, un immense sourire éclairant leur visage. Comme dans ces villages reculés de l’île de São Nicolau, lovés aux creux des montagnes, au milieu de ce majestueux cadre de falaises et de verdure (alors que la végétation se montre rarement sur l’archipel).

Iles du vent, vent de sable souvent, des sports nautiques aussi. L’île de Sal est un désert de terre, celle de Boa Vista, un désert de sable, nommée à juste titre comme un« morceau de Sahara posé sur l’Atlantique ». Paysage enchanteur, mosaïque de dunes, de palmeraies, d’immenses et magnifiques plages de sable blanc que boivent les eaux translucides aux reflets émeraudes de l’océan. Nous y passons des fêtes de fin d’année incongrues, étonnantes, et à la fois si naturelles, avec toute une bande d’autres navigateurs.

Nous mangeons local (poisson surtout, ou quelques-uns des produits de ces épiceries aux rayons souvent dépouillés), vivons local (corvées d’eau en bidons jusqu’à la fontaine du village, idem pour le carburant), circulons local dans les minibus nommés « aluger ». Ou alors en auto-stop, comme la fois où nous tombons par hasard sur la voiture de la police,et où nous nous entassons à l’arrière, recroquevillés, pliés en deux. Nous pris d’un fou rire, bringuebalés dans le véhicule qui file à toute allure sur la route pavée, les policiers le sourire aux lèvres, les villageois hilares à notre passage… Nous apprenons par la suite que nous occupons la place des repris de justice !

Iles loin de tout mais pas éternellement. Les promoteurs étrangers arrivent, prospectent, analysent… Le tourisme se fraye peu à peu son chemin, et sans nier qu’il apporte une forme de progrès au pays, nos plus beaux et riches souvenirs font partie des îles où le tourisme est presque inexistant, et que nous avons encore eu le privilège de voir telles quelles.

Les alizés nous pousserons vers les autres îles du Cap Vert, puis à la fin de l’hiver, au milieu de l’Océan Atlantique jusqu’au Brésil. Si tout va bien (la mer nous a appris la jusqu’au Pacifique, jusque… A quel moment ? Pour combien de temps ? L’envie du voyage est là, nous envoie vers d’autres horizons, sans désir de nous fixer quelque part pour l’instant, ni d’idée d’un retour en Europe. Mis à part pour revoir de temps à autre nos familles, ou pour y retravailler. A moins que cela soit possible et avantageux sur place. Le précieux métier d’infirmier offre de si nombreuses possibilités. Nous restons ouverts, à l’écoute de notre ccoeur, pour « sentir » un pays, y rester ou pas, faire une pause dans le voyage si le besoin s’en fait sentir, l’interrompre si c’est nécessaire… S’imprégner de tout ce qui nous entoure, accepter que cela nous fasse changer. Une vie à laquelle on s’attache.

Le soleil se cache derrière la mince brume stagnante au-dessus de l’océan, plongeant bientôt les montagnes sombres qui s’élèvent vers le ciel, tranchant avec la longue et fine bande de sable clair qui s’étale en contrebas, dans l’obscurité. Bientôt, nous quitterons Santa Luzia, pour partir à la découverte de la prochaine île, São Vicente et la capitale culturelle de l’archipel, Mindelo. Toujours se laisser surprendre par un lendemain différent.

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1 commentaire

  1. carlucci alexandre 18 mai

    merci,pour ce recit tres bien ecrit,,,je compte moi aussi tenter l’aventure,un ami viens d’acheter un 32p avec mat pour la mer,,,,ont compte partir dans 2 ou 3 ans,,,le temps pour apprendre sur lac leman!
    he oui je suis suisse de geneve,,,bravo pour avoir reussi le pari,,bonne continuation,,,,et merci,,,

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