LE BRESIL DE CERCAMON 20 mai
De cet immense pays qui représente nos premiers pas en Amérique du sud, nous ne connaîtrons que trois escales sur la côte nord-est. C’est bien peu en regard de toute la richesse que renferme ce gigantesque territoire vivant au rythme de tant de cultures différentes. Ci-dessous un échantillon de Brésil.
Les photos sont visibles sur:
Et aussi sur notre album Flickr: https://www.flickr.com/photos/doris-r/albums/72157646038017204
LE BRESIL DE CERCAMON
São Luís, 20 mai 2007
INTRODUCTION
Le Brésil, pays de 8’514 877 km2, grand comme 15 fois la France, avec 3 fois plus d’habitants que dans notre hexagone. Dans cet immense territoire, divisé en 5 régions (plus 2 archipels), celle du Nordeste s’étale sur un million de km2. Cette grande contrée est elle-même divisée en 9 états, chacun recouvrant une superficie conséquente, alignés sur 3500 km de côtes.
Parmi ces états-là, nous n’en avons traversé que 3. En passant uniquement par le littoral, et en restant toujours dans un cercle de quelques dizaines de km autour du bateau. C’est de ce Brésil-là que nous allons vous parler, de cette infime portion de pays que nous avons pu entrevoir.
Une escale bien loin du cliché standard de Rio de Janeiro, véhiculée à travers le monde : ambiance de fête constante, de samba, de capoheira, où les jolies filles abondent, vêtues d’un bikini string sur la plage de Copacabana, ayant parfois recours à la chirurgie esthétique, tout comme les travestis, où la richesse côtoie la misère des favelas. Si l’image n’est pas totalement erronée, la vie se déroule ailleurs souvent plus simplement. C’est aussi et surtout ce Brésil-là que nous allons vous raconter.
3 étapes, 3 aventures chacune différente. La grande ville de notre arrivée sur le continent sud-américain, Fortaleza, la calme campagne à Luís Correía, et le bijou culturel que représente la cité de São Luís.
GENERALITES ET DEPAYSEMENT
Au Brésil, on vit avec 5h de décalage horaire par rapport à l’heure d’été française (UT-3). On paie en reals (1R$env.=0,40€). La langue nationale est le portugais, parlé avec un charmant accent chantant, qui diffère de la langue usitée au Portugal (ou encore au Cap Vert), tant au niveau de la prononciation que de certains mots qui changent. Puis chaque région l’articule à sa manière, plus ou moins compréhensible pour nous. Si l’on possède quelques bases d’espagnol, comme nous, on saisit vaguement des portions de conversation, on parvient plus ou moins à se faire comprendre, mais pour la 1ère fois dans notre voyage, nous ressentons la barrière de la langue. Dans les lieux où nous passons, très peu de personnes maîtrisent une langue étrangère, ni l’espagnol, ni l’anglais, et encore moins le français. Car la région accueille peu de touristes étrangers, tous sont habituellement brésiliens (qui ne viennent de toute façon pas pendant la saison des pluies). Alors nos oreilles se façonnent peu à peu à ce nouveau langage, et après 2 mois d’escale, nous remarquons enfin les progrès.
Le dépaysement par rapport au Cap Vert est total. Ce qui nous frappe au prime abord, c’est l’abondance des produits et de la nourriture, à des prix excessivement peu élevés pour nous, en tous cas dans cette partie nord du Brésil. Venant d’un pays où l’on avait pris l’habitude de nous passer d’un certain nombre de choses, tant alimentaires que matérielles, parce qu’on ne les trouvait pas, nous n’arrivons tout simplement plus à acheter quoique ce soit les 1ers jours, nous avons bêtement perdu ce comportement. Mais une fois que le pli est pris, nous profitons de tout ce qui s’offre à nous, surtout avant de nous retrouver dans des contrées bien plus onéreuses comme la Guyane française ou les Caraïbes. On marchande, et sinon, la majorité des produits sont proposés d’office avec 10% de réduction. Bien sûr, si la vie n’est pas chère, en parallèle les salaires sont très peu élevés, toujours par rapport à notre regard d’européen.
Les étalages des magasins d’alimentation, les marchés de rues croulent sous les dizaines et dizaines de fruits tropicaux et amazoniens différents, aux noms, saveurs et aspects les plus exotiques, qui se déclinent également partout en délicieux jus frais. Mais si l’on désire ne pas trop se dépayser, on trouve aussi tous nos fruits européens. A 0,35€ le kilo, on n’hésite pas à refaire un gros gros plein de vitamines. Comme en goûtant à l’acerola, semblable à la cerise mais contenant 20 à 30 fois plus de vitamine C qu’une orange ! On trouve également l’eau de coco verde partout au même prix qu’un kilo de fruits, une noix contenant près d’un litre de cette eau réhydratante, riche en sels minéraux, si semblable au sérum physiologique que si on la prélevait stérilement (car le liquide à l’intérieur de la noix est stérile), on pourrait directement l’utiliser comme une perfusion intraveineuse pour la réhydratation. Bue très fraîche, elle est délicieuse et étanche réellement la soif.
Car il fait soif ! En pénétrant au Brésil, nous faisons connaissance avec le climat tropical, chaud et humide, d’autant plus humide que nous nous trouvons en automne en pleine saison des pluies, et ce jusqu’au mois de juin, et qu’au cours de notre remontée de la côte nord, nous ne cessons d’approcher du poumon de la planète, l’Amazonie et sa jungle.
Les pluies tombent surtout pendant la nuit vers Fortaleza, puis deviennent plus abondantes au fur et à mesure que l’on se dirige vers la Guyane et que l’on avance en saison, se déversant indifféremment le jour comme la nuit, se prolongeant jusqu’à plusieurs heures consécutives, souvent accompagnées d’orages. On a chaud, les panneaux sont ouverts, les linges sèchent dehors, puis les innombrables grains organisent nos journées à fermer-rouvrir les hublots, ranger-ressortir le linge.
Les 1ers temps sont difficiles, et nous nous demandons si nous arriverons à nous habituer à vivre dans cette étuve permanente. A suer sans arrêt, jamais nous n’avions vu les pores de notre peau, surtout chez Régis, autant couler. Merveilleuse mécanique du corps humain qui s’adapte à tout genre de situation ; nous sentons toujours la canicule, nous nous en protégeons, mais la supportons beaucoup mieux. Cercamon se revêt de sa tenue tropicale, constituée d’un grand taud de soleil, de protections sur les hublots pour contrer la chaleur, on lui fabrique un cockpit plus confortable pour désormais passer plus de temps à l’extérieur, et l’on déploie les moustiquaires cousues il y a quelques mois et bien utiles à présent.
C’est durant la saison des pluies que ces agaçantes bestioles de moustiques font les fières, transportant avec elles de joyeux virus telle la dengue qui sévit dans tout le pays (symptômes grippaux mais dans certains cas, apparition de la forme hémorragique avec un danger mortel), ou la malaria, répandue autour des bassins de l’Amazone. Les campagnes de prévention sillonnent toute la région et les centres de vaccination offrent des soins gratuits (pour la rage, la fièvre jaune, etc.). On s’asperge de repelents cutanés à l’heure des piqûres, le soir essentiellement, et la nuit dormons cloisonnés sous notre mousseline quadrillée.
Même en étant prudents, nous collectionnons les piqûres, de moustiques ou d’autres insectes, de plantes inconnues parfois, les boutons dus à la transpiration, ou encore les mycoses. Naturellement, l’environnement favorable à la cicatrisation des problèmes cutanés n’est surtout pas un milieu chaud et humide, et encore moins salin. Alors ça gratte, ça s’infecte parfois, et ça ne part pas comme ça. Cette même ambiance caniculaire et moite s’infiltre aussi vers nos boiseries à l’intérieur du bateau et sur nos tissus, une fine et têtue pellicule de moisissure verdâtre se dépose dessus. Si sur les vieilles façades de la ville de São Luís, cette couche verte contribue à leur donner un certain cachet, il n’en est pas de même dans le Cercamon !
Puisqu’on en était au chapitre des maladies, parlons aussi des maux de gorge récalcitrants dus aux différences de température entre les lieux climatisés et les 30° ou plus extérieurs, et les problèmes de tourista occasionnels, même si l’on applique la règle « peel it, cook it, or forget it » (pour tout légume ou fruit, le peler, le cuire ou l’oublier).
Au début, c’est le frigo qui nous manque. Presque plus rien ne se conserve dans les fonds en contact avec la paroi d’acier reposant sur l’eau qui frise les 30° à présent (on ne s’en plaint pas !). Beurre, fromage, lait condensé sucré tournent en quelques jours, un plat cuisiné ne tient pas au-delà de 12 à 24 heures, les fruits et légumes, mis à part certaines exceptions comme le chou, les oignons ou les agrumes, sont à consommer en quelques jours, sauf si on les achète verts. Quant à la viande ou au poisson, c’est exclu, à moins de les trouver salés ou fumés. Autre précaution : changer régulièrement les poubelles si l’on ne veut pas être rapidement asphyxiés à bord…
Nous nous rattrapons ici dans les restaurants, où financièrement il est plus avantageux de manger à l’extérieur que sur le bateau. De nombreux selfs services proposant divers plats au choix fonctionnent au poids, le prix est indiqué au kilo, ce qui nous revient à manger pour 1 à 4 euros par personne, et copieusement ! Les feijoada, un des mets typiques du coin, à base de haricots, de riz (encore du riz !) et de viande, saupoudré de farine de manioc, est souvent servi.
Plat de base : le riz
La viande notamment est absolument délicieuse, d’une rare qualité, et l’on trouve dans toutes les villes des grills dans les restaurants ou des barbecues dans la rue ou sur la plage.
Pour clore le chapitre du climat qui nous amène à parler de nourriture finalement, ces pluies et leur temps maussade nous offrent par contre un fabuleux moyen de remplir gratuitement et sans efforts nos réservoirs d’eau.
Régis nous confectionne un taud récupérateur de pluie sur mesure, et à chaque ondée, l’eau s’écoule automatiquement dans nos bidons, jusqu’à 40 litres en une seule averse ! L’eau est bonne, mais déminéralisée, il ne faut donc pas uniquement boire celle-ci. On en recueille tellement que pour une fois, luxe suprême, on peut se laver à l’eau douce ! Et fini les corvées d’aller chercher l’eau à terre ! On redécouvre des joies toutes simples qui nous enthousiasment, alors qu’on tourne un robinet d’eau à terre sans en faire tout un plat !
ça marche ce taud de pluie !
Le Brésil est un pays très croyant. 73% sont catholiques, 15% protestants et en expansion, 10% sont rattachés à d’autres croyances. Que ce soit à la ville ou à la campagne, on trouve un nombre incroyable d’églises aux nominations les plus diverses coincées entre les enfilades de boutiques dans les agglomérations, ou plantées au milieu de la verdure loin de l’urbanisation ; les messages bibliques s’affichent sur les T-shirt des gens, sur les pare-brises de bus et de voitures, sur les murs d’enceinte, à l’intérieur des magasins et des restaurants, sur les tracts parfois distribués, sur les barques de pêche. Est-ce pour cette raison que l’on constate une certaine bienveillance à l’égard des mendiants?
A Fortaleza, comme dans toutes les grandes villes du monde, ainsi que lors de nos 2 prochaines escales citadines, les vagabonds y traînent leur misère, tendant la main pour recevoir quelque argent. Au Brésil, ces derniers ne sont pas traités avec mépris, mais avec un certain respect. Les restaurants leur offrent leurs restes, si un client n’a pas terminé son assiette, il la donne à un des indigents, ou une dame sort spontanément de sa maison pour offrir à manger à un miséreux ; lorsqu’il pleut, on ne les chasse pas de la devanture de la boutique ni de celle de l’église, et on leur adresse la parole sans honte.
A force de sillonner en navigation une côte essentiellement plane faite de sable, et à chacune de nos escales, de parcourir des km et des km sur la grève, le littoral nord-est nous apparaît comme une immense plage ininterrompue. Il y règne toute une activité durant le week-end, où la majorité de la population se retrouve. Il s’agit même d’une véritable culture de la plage. Les familles y passent leurs journées, se rassemblent autour d’un plat de crabes (caranguejos) qu’elles décortiquent, les enfants s’amusent entre eux. Une quantité de terrains de football se dessinent sur le sol, les hommes y plantent les cages démontables, et les matchs se succèdent. Les filles, dont les cheveux cascadent jusqu’à la taille, toutes en string, quelques soient l’âge et la morphologie (ce n’est pas un mythe ! mais jamais topless, partie réservée à l’enfant), s’étendent au soleil. Se badigeonnant le corps d’une lotion hydratante striant leur peau mate de traces blanchâtres, se pavanant et se laissant admirer au plus grand plaisir de ces messieurs, s’interrompant le temps de boire une eau de coco, une bière, voire une cachaça (le rhum local), avant de reprendre le match, ou de rester à se prélasser. Les paillotes diffusent chacune leur musique aux cadences brésiliennes, démontrant le rythme inné des brésiliens. Certaines plages, comme à Luís Correía, sont tellement larges, surtout à marée basse, qu’elles se transforment en une route où circulent les voitures, les buggies, les vélos. Les véhicules stationnent au bord de l’eau, puis reculent au fur et à mesure de la montée des eaux.
Parallèle à cette longue bande de sable, s’étale une zone fertile de 100 km de large, très arrosée, où poussent entre autres les cultures de sucre, de coton, de cacao. Plus loin derrière, s’étend sur des milliers d’hectares une région aride, où la population, très pauvre, souffre de famine. Nous qui n’apercevons que la façade dorée de la région, où tout se trouve en abondance, nous avons de la peine à nous imaginer que pas très loin, commence un autre monde.
Et pourtant… c’est ce décalage-là qui représente l’un des grands problèmes sociaux du pays, aboutissant à l’essor des bidonvilles, les tristement célèbres favelas. L’actuelle société brésilienne se comprend en remontant dans le passé. En 1500, le pays devient une colonie portugaise, qui va importer inlassablement 3 siècles durant des milliers d’esclaves d’Afrique, mais des Caraïbes aussi (l’asservissement de la population indienne locale ayant échoué), période qui prend fin en 1888, 60 ans après la proclamation de l’indépendance. La population noire désormais libre, mais libre d’être pauvre, car aucun avenir ne lui est proposé (les meilleurs emplois étant réservés aux blancs), elle se regroupe entre elle, c’est la naissance des bidonvilles à la périphérie des villes. Les séquelles de l’esclavage aboutissent aujourd’hui à une forte ségrégation sociale, entre les familles riches et blanches (retranchés dans des bunkers dans les très grandes cités) descendants des planteurs, et les familles pauvres et noires dans leurs bidonvilles pour la plupart, descendants des esclaves africains et des immigrés.
Au fil du temps, les favelas sont alimentés par des milliers de paysans. Comme l’arrière-pays n’est que pauvreté, comme la plupart de ces immenses territoires ne leur appartiennent pas, mais représentent le bien de grands propriétaires fonciers qui les chassent violemment de leurs terres, ils s’inclinent devant la loi du plus fort, fuyant par la même occasion l’implacable sécheresse. Les favelas se transforment ainsi en une véritable société avec son propre fonctionnement, souvent financé par le trafic de drogue, souvent synonyme de violence et de criminalité. C’est à Fortaleza, nous en reparlerons plus loin en détails, que nous palpons ce climat d’insécurité, même si c’est à Rio qu’il semble être le plus flagrant. Toute la population colorée ne vit pas dans des bidonvilles, bien sûr, mais leurs demeures seront souvent moins prestigieuses que celles des blancs, dans des quartiers généralement distinctement séparés.
Mais en important des esclaves d’Afrique, le Brésil importe aussi toute une richesse culturelle et musicale, palpable dans tout le nord du pays, regroupant fêtes, danses, musiques et traditions colorées.
Après une période de dictature militaire instaurée dans les années 60, l’actuel président socialiste Lula, élu en 2002, tente d’oeuvrer pour la diminution de la pauvreté au Brésil, un des pays au monde où les contrastes sociaux sont les plus marqués. La tâche est grande, la dette extérieure si élevée qu’elle freine les meilleures volontés, la corruption agit à plusieurs niveaux comme une gangrène, les habitants qui pour bon nombre avaient mis leur confiance dans ce gouvernement voient leurs attentes non satisfaites, leurs espoirs déçus.
Un pays développé et moderne, surtout au sud où toute l’économie du pays est concentrée (et qui vit à l’européenne, avec la plus grande proportion de blancs), mais aussi sur tout le littoral nord. Or les traditions surannées perdurent, les carrioles tirées par des chevaux ou des ânes, chargées de divers matériel, se faufilent dans la circulation anarchique ponctuée de klaxons des véhicules modernes. Les annonceurs de rues sur leur vélo récitent leur texte au micro ou transportent les enceintes diffusant inlassablement la promotion de tel article, ou la fête de tel soir à tel endroit. Les cireurs de chaussures attendent le client, installés sur les trottoirs surplombés par les hauts buildings, tout comme les barbiers, ou les réparateurs en tous genres, par exemple de parapluies.
Peu de navigateurs en proportion atterrissent au Brésil après leur transatlantique, la majorité se dirigeant directement vers les Antilles. Une grande partie (surtout composée de français) arrive à Salvador de Bahia, y passe souvent une longue escale, quelques-uns poursuivent vers le sud en direction de Rio de Janeiro, ou plus loin encore vers la Patagonie, et pour beaucoup, remontent la côte nord vers les Caraïbes. Au contraire du côté atlantique occidental, nous croisons ici très peu de voyageurs en bateau, nous retrouvant parfois tous seuls au mouillage.
Tradition et modernité : une calèche dans la circulation
C’est pourquoi peu de cartes marines ou de prévisions météo sont aisément accessibles (heureusement qu’il existe les logiciels de navigation ou les infos météo sur internet), mis à part dans les 1 ou 2 ports principaux de la côte brésilienne qui s’étend sur 7360 km. Mais aussi parce qu’il n’existe pas de demande inhérente de la population pour la plaisance.
Comme en Espagne, c’est un domaine qui fait office de signe extérieur de richesse ; si l’on possède un bateau, on adhère à un yacht club, on sort le week-end ou les vacances, mais on ne voyage pas de cette manière-là. Même si certains sont réellement passionnés de voile. Les baroudeurs brésiliens existent, nous en avons rencontré un, mais ils se font rares. En Europe, où la tradition de navigation est assez ancrée dans les moeurs, l’idée de voyager ainsi dénote pourtant dans l’actuelle façon de vivre. A plus forte raison au Brésil, un mode d’existence souvent difficile à saisir ; certains nous prennent pour de véritables aventuriers, s’extasiant et s’interrogeant sur notre style de vie, de manière beaucoup plus aigue que dans d’autres pays.
Est-ce pour cette raison que les formalités administratives paraissent relativement compliquées ? Parce que les passages trop espacés des navigateurs ne valent pas la peine de simplifier les démarches ? A chaque état ses administrations, au nombre de 3, qu’il faut aller voir à l’arrivée dans l’état, comme au départ. 3 escales dans 3 états différents pour nous, donc 9 bureaux à visiter chacun 2 fois, en usant de la patience adéquate. Car pour une entrée ou une sortie, une à 2 journées se retrouvent aisément monopolisées ! Mais nous avons le temps, et de plus tout est gratuit. Chaque escale donc commence en général par la découverte des lieux les plus industrialisés et les plus laids. Mais nous vous détaillerons ce chapitre un peu plus loin.
Rapidement, nous nous rendons compte, ayant disposé de peu de documentation nautique avant d’atterrir au Brésil, que la côte nord du pays ne présente pas grand intérêt pour la navigation. Peu de mouillages pour laisser le bateau. Une eau toujours trouble et agitée par les courants de marée, peu propice à la baignade. Des ports très espacés (Fortaleza était notre 1er et dernier). Le problème des limites imposées par notre voilier quillard, avec 1,70m de tirant d’eau, qui ne peut espérer remonter les rios qui parsèment le littoral et qui se vident à marée basse, ni naviguer proche de la côte où les bancs de sable affluent, sans risquer de s’échouer. Un dériveur ou un catamaran prendra beaucoup plus de plaisir sur ce rivage qu’un Cercamon.
L’autre entrave à visiter le pays réside dans les immenses distances qui séparent un lieu d’intérêt touristique d’un autre, qui se comptent en centaines ou milliers de km, des parcours qui se font en bus pendant des heures et des jours (le train étant très peu développé) ou en avion, la solution la plus onéreuse. L’insécurité, éternel problème du navigateur, existe dans tous les mouillages que nous fréquentons en termes de vols, en particulier la nuit. Difficile alors de s’éloigner du voilier plus d’une journée, et le seul port de Fortaleza ne nous inspire pas une confiance totale au niveau du système d’amarrage (2 amarres à l’avant, une ancre à l’arrière) si bien que nous préférons être présents lors des variations des hauteurs d’eau dues aux marées. Le seul lieu où laisser le bateau en sécurité, aurait été le port de Salvador de Bahia, mais nous ne souhaitions pas descendre trop au sud du pays, notre but résidant principalement dans la remontée jusqu’aux Antilles.
Pour toutes ces raisons, en 2 mois d’escale brésilienne, nous ne visiterons pas le pays comme nous en avons ailleurs l’habitude (particulièrement sur les îles), provoquant au début un sentiment de frustration, cédant la place ensuite à une envie d’approfondir les lieux où nous nous trouvons, de lier connaissance avec la population affable, et de profiter de la vie peu chère.
FORTALEZA, ESCALE CITADINE
Paré des couleurs brésiliennes, antifooling vert, coque jaune, bâches de voiles bleues, Cercamon relâche fin mars à Fortaleza après sa transatlantique. Mais avant de partir à l’exploration de la ville, découverte des administrations, Régis devant pour cela porter un pantalon : la Policia Federal et son personnel taciturne, la Receita Federal (les douanes) qui se déplacera pour visiter le bateau le lendemain, le Ministerio de Saúde où le médecin nous jette à peine un oeil, mais où nous devons remplir un questionnaire, et enfin la Capitania dos Portos (la marine militaire), vêtus impeccablement de leurs uniformes immaculés. La journée qui passe est une affaire d’attente et d’une quantité de papiers à remplir et à signer. Fortaleza grouille de monde, d’agitation, d’activité commerciale. Tout le centre n’est que boutiques accolées les unes aux autres, organisées par thèmes : rue des hamacs, rue des tissus, rue des chaussures, rue des pharmacies, rue du matériel de bricolage, rue des boucheries, rue des cercueils, etc. Le choix est immense, la quantité des produits inimaginable, c’est un choc lorsque l’on vient du Cap Vert. Quelques églises surgissent ici et là, des places publiques aussi, mais il semble que toute la cité ne soit qu’un énorme centre commercial, bordé d’une longue plage devant laquelle s’agglutinent les hôtels de luxe, où l’activité bat son plein en fin de semaine.
Devant tous les bâtiments officiels de l’agglomération, les vigiles posent la garde. Armés jusqu’aux dents, arborant des gilets pare-balles. Main sur le revolver ou fusil à pompe à bout de bras. Les employés de la marina, les vigiles ou les passants dans la rue, nous mettent en garde de ne pas nous rendre à tel endroit, ou à tel autre, de jour comme de nuit où c’est encore pire. D’utiliser un taxi. Deux zones de favelas redoutées sont implantées en ville. L’une juste à côté de la marina (d’où la présence de gardes armés à toutes les entrées du complexe), l’autre vers le port commercial, à l’endroit où nous devons nous rendre pour les formalités administratives. Nous jouons donc le jeu du taxi, mais à la longue nous avons l’impression de vivre comme dans un carcan. En centre ville, malgré les présences armées omniprésentes contribuant au climat de paranoïa, nous ressentons peu l’insécurité. Sur la plage, en revanche, on devine les regards appuyés, les gamins qui nous frôlent, on voit un touriste se faire dévaliser sous nos yeux, et un adolescent tente de me voler mon appareil photo une autre fois (avec le cri de surprise que je pousse, je ne sais pas lequel des 2 est le plus effrayé !). Une autre fois encore, nous tombons dans la ville en plein manège des convoyeurs de fonds sortant d’une banque ; l’un est posté devant le véhicule blindé, l’autre transporte l’argent, le 3e couvre ce dernier avec son fusil à pompe. C’est cette arme qui surgit d’un coup sous notre nez, car la scène se déroule en plein milieu des passants qui vont et viennent, n’y prêtant même plus attention, et qui s’amusent de notre surprise. Nous apprendrons bien plus tard que la ville est gardée à juste titre, les banques ayant déjà subi de sérieux hold-up.
Nous ne savons que penser les 1ers temps de ce climat de violence qui jusque-là nous était inconnu. Mais après 2 mois d’escale dans le pays, nous relativisons plus la chose. Nous avons parfois l’impression que le climat de peur et de suspicion est plus important que la violence réelle, et en prenant les précautions de base, la seule chose qu’on nous ait volée, c’est une rame sur l’annexe, alors que nous rentrons un soir au bateau 3h après la nuit tombée lors de notre 2e escale.
Nous passons nos 2 semaines de relâche entre la ville et le port. Qu’est-ce qu’on y est bien dans cette marina ! Nous vous avions déjà décrit tout le luxe dont elle dispose dans notre dernier message. Nous profitons pleinement et quotidiennement de la piscine, nous récupérons peu à peu de la fatigue accumulée pendant la traversée. Nous bricolons tout un tas de choses sur le bateau, faisons les pleins d’eau, de nourriture, de diesel. Je réalise toute une série de confitures avec ces délicieux fruits tropicaux qui ne coûtent rien, nous utilisons Wi Fi et Skype à gogo (dont nous n’avions plus bénéficié depuis 4 mois, et que nous ne retrouverons plus avant la fin de l’année). Nous dégustons la cahipirinha, faisons connaissance avec le charmant capitaine du port, Armando, et avec nos voisins de ponton. Nous sympathisons avec l’aimable couple français navigant sur « Astérie », ainsi qu’avec la folle troupe de jeune bretons, dynamique et originale, tous médecins, dont l’excellent site : http://www.mva.free.fr est accessible aux enfants hospitalisés de Bretagne avec une participation interactive, projet sponsorisé par Ouest France, et parrainé par PPDA.
Début avril, après nos adieux obligatoires aux administrations, nous retrouvons la mer pour une cinquantaine d’heures, une mer agitée, qui bringuebale un équipage peu vaillant, l’une étant atteinte d’un inhabituel mal de mer, l’autre d’une bactérie intestinale, qui évidemment se logera aussi dans l’organisme de l’autre conjoint. Longer le champ de plates-formes pétrolières, longer la côte à 20 milles de distance qui joue à cache-cache, bouleversée d’éclairs en soirée, longer la voûte céleste traversée de longues et lumineuses étoiles filantes, entrer sous le tunnel iridescent de l’arc-en-ciel complet qui s’efface juste à notre passage. Malgré les problèmes organiques, la navigation est belle, l’eau joliment bleue, le courant nous porte, et après 250 milles, on aboutit à Luís Correía. De l’état de Ceará, on passe à celui de Piauí, les buildings sont remplacés par les dunes, l’agitation de la ville par la douce quiétude du lieu. On entre dans le delta de Parnaíba, le plus grand delta d’Occident, à la beauté sauvage, faite de dunes qui s’étalent à perte de vue et de forêt tropicale qui s’agglutine en îles sur la rivière somnolente. Si l’on remontait plus en amont, on découvrirait une faune très riche, et même des crocodiles !
LUÍS CORREÍA OU LA VIE TRADITIONNELLE
Cercamon, son ancre plantée au milieu du rio à l’eau boueuse, tranchant avec le turquoise de la mer à l’embouchure, devant la comune de Luís Correía. Village de 25’000 habitants tout de même, mais si étalé, si campagnard enfoui dans sa verdure, qu’il a tout d’un village pour ce si grand pays.
L’eau douce du fleuve (qui agit comme un carénage naturel sur la coque –tous les microorganismes agglutinés finissent par mourir-) s’agite dans un sens pendant 6 heures, puis dans l’autre, aucun répit ne lui est laissé. L’étonnant rythme des marées fait glisser l’eau comme un miroir mouvant dans un va-et-vient lent et régulier, ou l’agite pendant les grains, réveillant l’indolent cours d’eau alors tavelé de courtes vagues blanches, malmenant Cercamon tiraillé entre le courant dans un sens et les rafales dans l’autre.
Le rio, c’est le domaine des pêcheurs. Et ils sont nombreux à s’amarrer au ponton branlant sur les pilotis rongés par l’humidité, à sillonner le fleuve, à revenir de l’océan après des jours, voire des mois d’absence. Leur spécialité, c’est la crevette qui se pêche en quantité dans la région. Grosses et charnues, nous nous en régalons. Leur barques, ici comme à Fortaleza mais surtout à São Luís, c’est tout simplement un enchantement de les voir progresser. Haute voile colorée, souvent rapiécée, qui émerge au-dessus du paysage longitudinal, évoluant majestueusement sur le plan d’eau, louvoyant sur le rio, la moitié de l’équipage, muscles tendus, manoeuvrant à chaque virement de bord. Pas de winch, ni même d’instrument de navigation, pas le moindre GPS, ni filière sur les côtés, ni moteur. Courageusement, ils s’en vont en mer, fièrement, ils prennent la pose pour la photo ; ils savent qu’elles sont belles, leurs jongadas. Certaines embarcations fonctionnent avec la propulsion mécanique, mais elles sont tellement moins jolies…
Seul voilier à l’ancre, et forcément l’attraction pour les travailleurs de la mer qui passent et repassent, et qui viennent ici livrer leur marchandise. Moins fréquemment qu’à l’époque, où toutes les usines de glaces fonctionnaient encore ; ici au Brésil, souvent l’enthousiasme des débuts planifie le projet, le concrétise, puis tout s’essouffle rapidement et tombe à l’abandon.
Seuls touristes au village, et forcément l’attraction pour les villageois qui nous demandent régulièrement d’où nous venons, où nous allons, avec l’accent de leur région qui nous est particulièrement incompréhensible, nous prenant de prime abord pour des hollandais avec notre pavillon français aux couleurs similaires. La France, pour beaucoup, c’est le pays qui a battu le Brésil au Mondial de football en 1998 (le sport national ici).
Les gens sont à l’image de leur contrée, calmes et doux, intéressés mais réservés, serviables et aimables si l’on nécessite leurs services. Et tout est toujours « tudo bom ». Avachis dans les hamacs ou posés sur des chaises, la vie s’écoule paisiblement et traditionnellement ici. Comme lors de nos autres escales, l’activité sieste représente une des occupations dominantes. Les hommes jouent aux cartes, ou se chamaillent comme des gamins, leurs fous rires emplissant la rue. Les gens s’abritent sous leur parapluie, se protégeant du soleil comme de la pluie (nous les imiterons aussi). Les nombreux vélos arpentent les rues planes, souvent une famille entière s’y accroche, Monsieur pédale, son aîné glissé juste devant lui, à l’arrière siège Madame assise en amazone avec le petit dernier dans les bras. Une population métissée entre les noirs descendants d’esclaves africains, les indiens d’Amazonie, et les émigrants européens. Mais comme partout, nous sommes la plupart du temps les seuls blancs.
Paysage paisible et reposant qui nous change agréablement de la grande ville. Sur la rive gauche, les grandes dunes s’étalent entre l’eau brune du rio et l’eau bleue-verte de l’océan. Parallèlement, intercalée entre le sable et la mer, s’étire un long ruban verdoyant où paissent vaches osseuses, ânes timorés, et chevaux orgueilleux. On rame en silence sur l’eau lissée et fangeuse au pied des palétuviers, qui envahissent le sol marécageux en un inextricable enchevêtrement de racines aériennes, survolées de nuées de moustiques. On tend l’oreille aux bruits étranges qui troublent le silence de la mangrove, aux cris des oiseaux qui la survolent, on tente de percevoir toute cette vie invisible qui se déroule dans la jungle. On s’attendrait à voir surgir un crocodile de ces eaux troubles et endormies, simplement habitées par les grosses libellules jaunes et vertes, quelques perroquets, et les chauves-souris la nuit. A terre, c’est le royaume des gros lézards et des iguanes, des somptueux papillons, des crapauds, dont le croissement le soir envahit l’herbe, aiguisant également l’intérêt des serpents. Et moins charmant, des charognards aussi à l’affût de tout, jamais loin des pêcheurs se débarrassant des tripailles des poissons. Quant aux vaches à bosse, nous en apercevrons plus loin dans le Maranhão.
Sur le rive droite, la longue plage où tout le village se retrouve le week-end, et plus loin, la lagune de Portinho, grande flaque d’eau plantée au milieu des dunes telle une oasis, vouée à disparaître avec le recul lent et progressif du sable sur l’étang.
Luís Correía est très arrosé, fréquemment arrosé pendant ce mois d’avril. Pluies tropicales qui s’abattent des heures durant sur la côte, ciel gris barbouillé de nuages, vidé de lumière, orages plus ou moins violents, inondations à terre, macadam fumant sous les averses. Reclus trop souvent dans le bateau, réceptifs au crépitement sur le pont de la pluie tropicale suintant du ciel, la vie n’est pas toujours évidente à bord, le moral prendrait vite la couleur du temps. Mais quand le soleil réapparaît, sans demi-mesure, écrasant paysage, hommes et bêtes sous sa chaleur, le ciel réapparaît comme lavé, d’une clarté cristalline.
Luís Correía, c’est donc le village. Puisque nous y sommes les seuls touristes, on finit par vite nous connaître, et il n’est pas rare qu’on nous emmène en voiture jusqu’à la ville de Parnaíba 15 km plus loin (une « petite » localité de 150’000 habitants), avant même qu’on ait eu le temps de se rendre à l’arrêt de bus, ou avant même qu’on ne lève le pouce pour faire du stop. Parnaíba possède quelque chose d’attirant, une certaine âme, avec son ancien quartier de docks plus ou moins à l’abandon, plus ou moins en rénovation, au bord du fleuve, là où étaient acheminés il y a des centaines d’années les esclaves. Ici on revit, nous sentant enfin libres d’aller et venir où nous voulons, sans risque d’insécurité ; la vie y est encore un peu moins chère qu’ailleurs, on circule en mototaxi dans les rues pour atteindre des lieux décentralisés, comme les bureaux des formalités… car c’est reparti !
A Parnaíba, elles seront les plus fastidieuses, peut-être parce que les voiliers s’arrêtent rarement ici. Chaque administration, après des heures d’attente, tient à se déplacer en personne pour voir le bateau, chacun nous amenant avec son propre véhicule jusqu’à Luís Correía. Le manège durera donc 2 jours. Médaille d’or à la Policia federal, les plus courageux, qui visiteront réellement le voilier, c’est-à-dire escalader le ponton délabré et vaseux, avec leur chemise, pantalon et chaussures de ville, s’installer dans l’annexe, se faire éclabousser par l’eau boueuse du fleuve pour enfin atteindre Cercamon, et brièvement entrer à l’intérieur. Nous nous retenons de rire, le visage des pêcheurs sur le ponton est balayé d’un sourire mi-ironique, mi-amusé, mais l’aventure qui dépayse les 2 policiers de leurs bureaux ne semble pas leur déplaire ! Les 2 autres offices, en revanche, se montreront moins téméraires ; de voir le bateau au mouillage les dissuadera d’investiguer plus loin…
Heureusement, au départ, les démarches sont plus simples, sauf que la Policia Federal est en grève, et qu’il faut remettre le protocole de sortie à plus tard.
La Jeep de la Capitania dos Portos
A Luís Correía, nous entendons un jour parler français dans un local d’internet… on lie rapidement connaissance avec cette famille de navigateurs qui un jour y a fait escale, a eu le coup de foudre pour l’endroit,et n’en est plus repartie. Profitant de l’immobilier si peu cher, leur demeure au bord du cours d’eau est des plus agréables, entourée de son grand jardin où poussent toutes sortes d’arbres, de plantes et de fleurs.
D’ailleurs nous repartons chargés d’une vingtaine de noix de coco ! Nous passons plusieurs chouettes soirées ensemble, et nous apprenons quantité de choses sur le pays, également grâce à leurs amis brésiliens. Après 2 semaines d’escale « campagnarde », suivent 2 jours de mer pour atteindre São Luís, 200 milles plus au nord. Les colères du ciel en déluge aquatique au départ comme à l’arrivée, ciel noir, visibilité nulle, pendant d’interminables heures. Entre 2, on aperçoit tout de même le bleu du firmament, embrasé un matin par le grandiose spectacle du lever du soleil. Comme si la palette d’un peintre s’était renversée sur ciel et mer, les couleurs qui s’étaleraient encore et encore, se mêlant les unes aux autres pour finir par se diluer dans l’immensité. Ça commence par le rougeoiement de l’horizon. Puis le contour des nuages surligné d’or. Ceux plus hauts dans le ciel se teintent alors aussi, passant du rose à l’orange. Puis c’est au tour de la mer d’huile de s’illuminer, comme si l’on y avait saupoudré des paillettes d’or. Tout est prêt pour l’arrivée de l’astre solaire, surgissant solennellement au bout de l’horizon flamboyant ; et les fabuleuses couleurs qui avaient animé ce somptueux tableau s’estompent rapidement : il ne reste plus que l’accablante canicule pesant sur tout l’océan.
Le lendemain, alors qu’à la poupe, les éclatantes luminosités de l’aube nous talonnent, à l’étrave, nous nous enfonçons dans un magnifique double arc-en-ciel. Tout en navigant au moteur, c’est l’époque des alizés facétieux, qui vont de paire avec la saison des pluies, pendant laquelle nous hissons peu les voiles.
SÃO LUÍS, VILLE D’HISTOIRE
Fin avril, nous entrons dans la vaste baie de São Marcos. Au fond, la ville de São Luís, elle-même située sur l’île de São Luís, si encastrée dans le continent qu’on ne se rend pas compte de son insularité.
São Luís, un bijou d’histoire, d’esthétique, d’architecture, de culture… c’est en 1997 que la ville est déclarée Patrimoine Culturel de l’Humanité par l’UNESCO. Fondée en 1612 par les français (par Daniel de la Touche, tous les habitants le savent), ils la nomment ainsi, Luís en l’honneur de Louis XIII. La cité, devenant par la suite colonie portugaise (après une brève occupation hollandaise), rassemble actuellement plus de 3000 édifices de valeur historique et artistique. Datant des 18-19e siècles, ils émaillant le centre, entre les églises, les monuments, les fontaines, les musées, les façades décrépies, parfois végétales, pour beaucoup recouvertes des fameux azulejos, ces carreaux de faïence assemblés en fresque murale (initialement utilisés pour protéger les murs de l’humidité des pluies tropicales). São Luís, nommée aussi « Athènes brésilienne » pour la quantité d’écrivains et de poètes qui l’on enrichie de leur art au 19e siècle, mais encore « Jamaïque brésilienne », car c’est ici la capitale du reggae du pays.
On s’y sent bien, dans cette ville, à déambuler dans les enchevêtrements de petites ruelles pentues, ou à emprunter les volées de marches, aboutissant presque toujours à une place inattendue, ou à un coin encore inconnu agrémenté de grandes bâtisses aux hautes fenêtres, recouvertes de carreaux en faïence, à côtoyer tout un métissage de population à majorité noire, où l’ambiance est décontractée, où règne une quiétude festive, où l’insécurité n’exsude pas des rues, où il fait bon vivre.
Une mélodie qui s’échappe d’une cabane, d’une maison, d’une voiture, et la plupart se mettent à bouger, à y mêler leur voix. Chaque soir, la cité résonne de musique, chaque weekend, le yacht club est assiégé de concerts de reggae. On tâte l’ambiance nocturne, sans rencontrer le moindre problème, et le mouillage relativement sûr pour une petite période nous permet de rentrer après la nuit tombée. Quel plaisir de pouvoir traîner après 18h encore en ville, ça ne nous était plus arrivé depuis les Canaries, soit depuis 6 mois.
On visite le centre historique, on se rend à l’Alliance Française, qui comme au Cap Vert (et bien sûr ailleurs), agit pour promouvoir la langue française par des cours et par la mise à disposition de littérature dans la langue de Molière. C’est à cette bibliothèque que nous échangeons bon nombre de nos livres. Comme São Luís constitue notre dernière escale brésilienne, nous en profitons du point de vue du shopping, si peu onéreux, pour des produits typiques du pays (machette –qui peut aussi servir d’arme à bord-, hamacs, tongs …) ou plus standards (vêtements, tissus, amarres, matériel de bricolage, médicaments en réserve, produits de soins, etc.).
Aux alentours, nous nous rendons un jour à Raposa, une communauté de pêcheurs rassemblée en un pittoresque village sur pilotis, à 2 doigts de la mangrove, où les femmes et leur doigté de fée créent artisanalement de la dentelle sous toutes sortes de formes. Une autre fois, nous découvrons São José de Ribamar, une plaisante bourgade au bord de l’eau, ou plutôt au bord d’immenses plages se découvrant à marée basse, sa grande église bleue regardant l’océan.
De l’autre côté de la baie de São Marcos, logée au coeur d’une épaisse végétation tropicale, on voit sourdre Alcântara (connue aussi pour son site de base spatiale brésilienne). D’anciennes demeures coloniales construites au 18esiècle encadrent les ruelles pavées, résidences datant de l’apogée de l’exploitation du coton, activité qui s’est essoufflée en même temps que la vie à Alcântara, où ne résident actuellement plus que 8000 habitants. Les descendants d’esclaves qui depuis des générations, ont repris les anciennes demeures laissées par leurs maîtres à la chute de l’empire portugais.
Nous ne visiterons pas le fabuleux domaine des lençois de Maranhão si réputé dans la région, littéralement des « draps » qui s’étendent sous formes de dunes sur des milliers de km2, parcourus par autant de lagons d’eau douce, paysage fabuleux mais si vaste que pour y accéder et le visiter, il est nécessaire d’y consacrer au minimum une semaine. Trop long pour laisser le bateau tout seul…
Cercamon se berce, dodelinant, dans l’agréable mouillage protégé de São Luís. Même s’il se trouve éloigné de 3 km du centre ville. Obligeant d’abord à l’activité « triathlon » de rame – porter l’annexe jusqu’au yacht club – marche jusqu’à l’arrêt de bus pas tout près, sous la chaleur plombante ou la pluie. Mais pour accéder à ce lieu d’ancrage paisible, devant la plage bordant le yacht club, les manoeuvres d’approche se révèlent plutôt délicates. Pas de cartes de détails ni d’annuaire de marée (pas disponibles) dans une baie où affleurent rapidement les bancs de sable. Au bout du 2e essai, un homme sur le rivage nous avertit de nous déplacer immédiatement : la mer se retire, et si l’on reste là, le voilier va finir par se coucher ! Nous suivons ses indications, ainsi que celles de l’indispensable sondeur, et observons, ahuris, notre ancien emplacement entièrement à sec quelques heures après. Nous échappons à une nuit penchée, nous privant assurément de sommeil, et au risque d’entrée d’eau dans le bateau à marée montante. Pas comme le voilier danois quelques jours plus tard… Nous comprenons enfin qui si à Fortaleza et à Luís Correía le marnage (la différence de hauteur d’eau entre marée basse et marée haute) avoisinait les 2,50m, ici il atteint les 5 à 7m. La mer se retire sur des km découvrant l’estran plane, la ville reflète ses lueurs la nuit sur l’étendue gorgée d’eau, grouillante de vie et de crabes, mais aussi de relents nauséabonds et de déchets.
Le spectacle devient surtout impressionnant lors de la pleine lune, où la mer monte beaucoup plus haut que d’habitude, et descend beaucoup plus bas également. Alors Cercamon se retrouve prisonnier de l’estran, isolé dans son petit îlot d’eau où seulement 1 ou 2 autres bateaux ont la place de mouiller ; à 2 pas, les pêcheurs arpentent la zone à pieds, debout à quelques mètres du Cercamon juste à flots. Dans ces mouillages brésiliens, il est évident que l’on plantera au moins une fois la quille dans la vase lors du jusant.
Dans la baie, comme à Luís Correía, c’est le défilé des élégantes barques de pêcheurs, spectacle dont nous ne nous lassons pas, mais aussi de celui de la pêche plus simple des hommes qui jettent leurs filets, ou récupérant leurs casiers juste à côté de Cercamon, à pieds ou à bord de petites embarcations.
Le mouillage bat son record d’affluence durant ce mois de mai ; 3 voiliers à l’ancre ! Et même 4 durant quelques jours, puis plus que 3, 2… et un, c’est-à-dire nous. Nous sympathisons spécialement avec Luciano, le seul plaisancier brésilien que nous serons amenés à rencontrer, qui vient de parcourir au courant des 2 dernières années la totalité de la côte brésilienne en partant de l’extrême sud. Nous parlons la même langue, celle des navigateurs, de leurs soucis et de leurs bonheurs. Une belle rencontre, et son regard de brésilien voyageur sur son pays nous éclaire sur bon nombre de domaines.
En continuité du lieu d’ancrage, la plage se poursuit longeant la ville au nord. Toujours les mêmes activités comme ailleurs chaque week-end. Ce qui change, ce sont les WC publics. Pourquoi trouve-ton des gardes plantés devant ? (C’est d’ailleurs peut-être l’unique endroit de la cité où l’on aperçoit des vigiles !). J’entre du côté filles, et soudain en comprend la raison, tenant compte de l’ambiance alcoolisée et désinhibée qui agite la grève en fin de semaine : une vingtaine de filles, culotte baissées, les unes à côté des autres, se soulagent à même le sol, où tout le monde patauge, dans un même local sans cabines d’où montent des odeurs nauséabondes… N’étant pas habituée à cette coutume et malgré mon envie pressante, je ressors illico !
Propulsés sur les flots de la baie de São Marcos, nous filons à 10 noeuds, confortablement et sans gîte. C’est sur le catamaran d’un des membres du Club de Voile Aven, rencontré la veille au soir en compagnie d’autres adhérents, autour d’une cachaça corsée, que nous parcourons l’anse, euphoriques quant à nos 1ères sensations sur un multicoque. Le skippergardien du bateau nous pilote, comme on le lui a demandé, même si la balade ne semble pas l’enchanter, son patron ne pouvant nous accompagner ce jour. La vingtaine de catamarans étalés sur la plage obéissent presque tous au même régime, un patron (blanc), un employé (coloré) aux ordres de ce dernier. Notre « boy » s’efface instinctivement pendant la navigation, s’active en silence, pas de relations possibles, la hiérarchie est maintenue. Nous ne savons trop comment nous comporter, mais profitons tout de même de cette belle journée qui nous est offerte.
On peut sentir en filigrane, particulièrement à São Luís, le passé d’esclavage sur l’actuel clivage social et racial. On pose une question qui nous paraît logique et simple à un employé d’une quelconque boutique ou institution, il ne sait pas (ou fait semblant de ne pas savoir). Il faut demander à la secrétaire. Mais la secrétaire ne sait pas non plus, il faut demander au directeur. Or ce dernier n’est disponible que le soir, il faut donc l’attendre. Même s’il s’agit seulement de demander la permission pour utiliser une prise électrique (pas assez d’énergie à bord pour recharger quelques uns de nos appareils) ou de nous garder un sac le temps que nous fassions l’aller-retour en ville allégés du poids du fameux sac. Certaines personnes affichent un visage si véhément, si abasourdi ou alors complètement inexpressif lorsque nous leur adressons la parole, que mis à part le fait que nous ne maîtrisons pas très bien la langue, nous nous demandons si nous avons à faire à un choc culturel, où s’il existe un réel problème d’intégration de notre demande. Jusqu’à ce que nous apprenions qu’ici, le simple employé est souvent peu instruit, qu’il s’agit peut-être bien de la 1ère fois qu’un étranger lui fait la conversation, et que, déresponsabilisé, il vit fréquemment avec la peur de mal faire, gêné par son sentiment d’infériorité. Toutes les décisions, mêmes les plus basiques, reviennent alors au patron, en général le blanc, qui lui sait, son niveau d’études le lui permet.
La proximité du Yacht Club nous assure un endroit où laisser l’annexe, des concerts le weekend, de reggae généralement (de 0h à 6h), le luxe d’une piscine si nous payons la cotisation (nous nous payons déjà le luxe de douches à l’eau de pluie à bord). En dehors de tout cela, le lieu se délabre peu à peu, fonctionnant au ralenti la semaine, pour ne s’animer que le samedi et le dimanche, tout comme le Regata Club voisin. Ambiance d’un passé actif et vivant révolu que l’on peut imaginer, où à présent règne souvent un silence de solitude et d’abandon. Au Regata Club, nous croisons tout de même du monde, l’ambiance est décontractée, c’est là que nous branchons l’ordinateur, et que nous lavons notre lessive à la main (un des inconvénients majeurs de la vie en bateau !). Vers les catamarans au bord de la plage, on rencontre de temps à autre certains membres du Club de Voile Aven avec lesquels nous sympathisons. L’un d’eux possède le chantier de catamarans « Batevento », et curieux, nous visitons le lieu et suivons les processus de construction. Les prix défient toute concurrence européenne et les bateaux semblent de qualité tout à fait satisfaisante. On en parle des catamarans ! Et on y pense aussi… Peut-être un jour ? Le patron du chantier nous confectionne également dans son atelier de voilerie une bâche anti-UV pour notre annexe (dont les colles reliant les plastiques les uns aux autres risquent de se décoller sous le soleil des Tropiques).
A São Luís, la météo se montre habituellement plus clémente que lors de notre précédente escale, et nous avançons aussi en saison. Mais lorsque le ciel se fâche, le paysage éclaboussé tout entier de pluie nous semble si incroyable qu’au lieu de nous déprimer, le phénomène météorologique stimule notre intérêt. Trois jours durant, et pratiquement sans interruptions, la ville se retrouve entièrement engloutie sous une coupole de nuages noirs menaçants qui s’abaisse encore et encore, rassemblant sous son toit orages fracassants, éclairs éblouissants et pluies diluviennes, effaçant les contours de la cité. Des trombes d’eau torrentielles s’abattent sur São Luís avec une force et une intensité inouïe, et la ville tente de survivre malgré le déluge. Même si le sol des boutiques se retrouve inondé en permanence, même si les litres d’eau qui tombent du ciel bas, lourd et gris, se déversent dans les rues comme des cours d’eau, dont le niveau monte parfois jusqu’au-dessus des roues des voitures. Si le spectacle nous laisse ébahis, les gens d’ici semblent aussi trouver que cette fois-ci, c’est beaucoup. Tout le monde se presse sur la devanture abritée des boutiques, observant le paysage urbain hachuré de pluie, espérant une prochaine éclaircie, ou juste une atténuation de la spectaculaire ondée.
Le martèlement des pluies considérables, frappant la coque avec violence, finissent par mettre en évidence 2 trous, 2 points de rouille sur le pont, responsables d’infiltrations de dizaines de litres d’eau à l’intérieur du bateau, inondant la cuisine et les fonds… Alors, entre les éclaircies, Régis gratte, ponce, et mastique les voies d’eau en attendant le traitement efficace d’une soudure, uniquement possible plus loin au chantier de Trinidad. Comme au Cap Vert, il ne faut pas tomber en panne dans des régions avares en ports.
Parler du Brésil sans parler des filles réputées pour leur beauté serait un manquement. Oui, elles sont ravissantes, oui elles sont séduisantes, oui elles sont lascives. Certaines traînent spécialement le long des quais, et gare aux coeurs qui se laissent prendre entre leurs filets. Ainsi naissent des couples où généralement Monsieur est européen aux cheveux blancs, Madame est de couleur et sort à peine de l’adolescence. En observant l’intrigant manège de ces couples singuliers à Fortaleza comme à São Luís, sachant qu’il existe aussi à Salvador, nous constatons ensuite la transformation du ménage en famille, la demoiselle sentant sa proie bien accrochée, ramenant alors dans le bateau son jeune enfant qu’elle élève seule. La petite famille déambule sur la plage, à la marina, en ville, comme si de rien n’était, et l’argent de l’européen se dépense rapidement. Le navigateur qui avait l’intention de faire un tour du monde change subitement de projet, transformé en amoureux transi, il veut ramener sa douce dans son pays. C’est souvent lorsque Madame reçoit ses papiers européens que la solidité du couple est alors mise à l’épreuve…
L’apparente nonchalance de la population disparaît dès qu’il s’agit de faire la fête. De quelle vivacité, de quelle énergie, et de grâce aussi elle fait alors preuve ! C’est comme si tout un peuple se réveillait. Musique, percussions et chants, rythmes vibrant au fond de chaque être, danses et corps ondulants, costumes et coiffes bigarrées. Fêtes mêlant cultures indiennes, africaines, antillaises et portugaises, amalgamant rites religieux, traditions ancestrales, souvent liées au thèmes de l’esclavage, associant buts humanitaires parfois. Dans le Maranhão, l’Etat de São Luís, les fêtes théâtrales du bumba-meu-boi datant du 18e siècle qui animent toute la ville au courant du mois de juin, et nous aurons la chance d’en apercevoir les prémices fin mai.
C’est à São Luís que nous suivons le résultat des présidentielles françaises. Les brésiliens ne cessent de nous demander si c’est la « mulher » (la femme) ou l’ « homem » (l’homme) qui les a remportées.
Nous allons voir quelle nouvelle image de la France nous allons maintenant représenter avec notre pavillon que nous baladons de pays en pays.
CONCLUSION
Nous abandonnons le projet initial de nous rendre à Belem, aux portes de l’Amazonie, une navigation pas réputée des plus simples et des plus sûres, et la proximité de la jungle ne nous attire pas plus que cela… Alors commence la routine des préparatifs, de charger le bateau en vivres et carburant, Régis qui prépare la navigation, qui vérifie que le vaisseau soit en ordre. Dans quelques jours, nous ferons cap sur la Guyane.
Nous venons de ne baigner que dans une goutte d’eau au milieu de cet océan de terres brésiliennes, que même les habitants eux-mêmes ne connaissent de loin pas en totalité. Comment percevoir un pays si long mais encore plus large ! Un pays où l’on skie et où l’on souffre de canicule. Un pays où les mentalités diffèrent tant d’état en état. Mais nous nous sommes faits à cette idée, et même si notre escale ne répondait pas à nos attentes primitives, nous avons découverts une tranquillité de vie qui s’écoule, un dépaysement plaisant, un pays où le touriste n’est pas encore automatiquement synonyme de portefeuille ambulant, où nous avons apprécié la simplicité, la gentillesse, et la spontanéité des gens.
PS : Alors que nous finissons juste d’écrire ce message au Regata Club, installés face au mouillage, face au Cercamon (car pas assez d’énergie à bord pour utiliser l’ordinateur), nous avons le choc de retrouver le soir en rentrant au bateau la porte ouverte… Nous venons d’être volés ! L’intrusion a due être rapide, certainement des pêcheurs. On note quelques dégâts matériels, le vol de certaines bricoles, mais aussi d’un GPS portable, d’un poignard de plongée, d’un compas, des jumelles, et de notre fameuse fausse boîte à trésors contenant bijoux de pacotille, cartes de crédit périmées, billets d’argent et monnaie n’ayant plus court. Les vraies cachettes, avec nos vraies valeurs, n’ont par chance pas été démasquées. D’abord sous le choc, mais en relativisant ensuite, le larcin n’est pas grave (peut-être même le 1er d’une longue série), mais l’impression désagréable d’une intrusion étrangère dans notre chez nous subsiste. Si nous avons écrit dans notre texte que le mouillage de São Luís était relativement sûr, à partir du 20 mai 07 au soir, il ne l’est plus !
Le mouillage avant-après le grain
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